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Realpolitik: Les Europeens ne nous comprennent pas

posted by circassiankama on August, 2010 as Abkhazia


Les Européens ne nous comprennent pas



Photo-LV1

 

Le Premier ministre de la République d'Abkhazie répond aux questions de Laurent Vinatier pour RealpolitikTV :

« Les Européens ne nous comprennent pas ! »

Entretien avec Sergueï Shamba,

Premier Ministre de la République d'Abkhazie.

Par Laurent Vinatier, Ph.D,

Double entretien réalisés les 17 juillet 2009 à Soukhoumi en Abkhazie et le 30 avril 2010 par téléphone, depuis Istanbul.Portrait

L'Abkhazie n'est pas une illusion. Ce micro-Etat de quelque 8'500 km², peuplé d'environ 220'000 personnes, dont une majorité, seulement relative, d'Abkhazes ethniques[i], connaît aujourd'hui un nouveau départ. Située au nord-ouest de la Géorgie au-delà de la rivière Inguri, coincée entre la mer Noire et les montagnes du Caucase russe, à une vingtaine de kilomètres seulement de la ville de Sotchi qui doit accueillir en 2014 les Jeux Olympiques d'Hiver, l'entité séparatiste abkhaze n'a guère eu, jusqu'alors, la possibilité de pouvoir se construire. Elle ne parvenait pas à envisager un avenir durable ; sans allié volontaire et actif, elle n'avait d'autre choix que de se soumettre à la bonne volonté russe, au risque d'être sacrifiée, si son puissant voisin du nord, les Etats-Unis et la Géorgie s'entendaient dans le Caucase Sud. Le 26 août 2008, à la suite de l'intervention punitive éclair de la Russie contre la Géorgie, elle est sauvée : reconnue officiellement par un membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies, l'Abkhazie indépendante voit s'ouvrir, enfin, d'encourageantes perspectives. C'est un cas concret de « state-building ». L'importante diaspora abkhaze, résidant principalement en Turquie, s'active, pose des jalons politiques et économiques. Il n'y a plus qu'un pas pour que l'espace abkhaze devienne un enjeu d'influence entre la Turquie et la Russie.

Homme de pouvoir depuis 1997, Serguei Shamba est un observateur et un praticien privilégié de la politique et de la construction étatique abkhazes. Historien de formation, il est d'abord ministre des Affaires étrangères jusqu'en juin 2004. A cette date, il démissionne, souhaitant se présenter à l'élection présidentielle contre Sergueï Bagapsh et Raul Khadjimba mais il n'obtient que 6,9% des voix. Il fonde alors le parti social-démocrate d'Abkhazie, rejoint l'alliance Bagapsh-Khadjimba[ii] et retrouve son poste au ministère des Affaires étrangères à la fin 2004. En 2009, à l'approche de l'élection présidentielle, d'aucuns lui prêtent de nouveau des ambitions. Après quelques légères tergiversations, il se range finalement derrière le président sortant qui, élu, le nomme Premier ministre[iii]. Son ascension ne devrait pas s'arrêter à ce poste. Personnage clé de la politique abkhaze, par sa longévité au ministère des Affaires étrangères et donc par ses contacts à l'étranger, il est l'une des figures abkhazes les plus connues dans les cercles internationaux. Il est très probable ainsi qu'en 2014, il se saisisse des rênes de la république, qu'il a tant contribué à promouvoir mondialement depuis bientôt 15 ans.

Homme d'avenir donc en Abkhazie, il présente ici les termes - le contexte et les projets - de ce nouveau départ pour son pays.

Contexte historique

La première guerre d'indépendance, d'août 1992 à octobre 1993, ne donne rien. Les différends abkhazo-géorgiens commencent dès 1989 sous la pression des nationalistes de Tbilissi. Au printemps 1991, avec l'élection de Zviad Gamsakhourdia à la présidence de la République de Géorgie, cette ligne centralisatrice pro-géorgienne devient politique officielle : les Abkhazes craignent une nouvelle période de géorginisation. La chute de Gamsakhourdia au début de 1992 ne les rassure pas, l'arrivée d'Edouard Chevardnadze aux affaires en mars 1992 non plus. Finalement en juillet 1992, l'Abkhazie proclame son indépendance. Les Géorgiens naturellement réagissent et envoient plusieurs milliers de soldats qui occupent sans difficultés Soukhoumi. Le front se stabilise en octobre 1992 jusqu'en juillet 1993. A cette date, les Abkhazes, avec l'appui des forces armées russes et de nombreux paramilitaires caucasiens, en particulier des Tchétchènes, lancent une contre-offensive sur la capitale, qu'ils bombardent. En septembre, les Géorgiens ne peuvent plus tenir la ville qu'ils évacuent. A la fin de l'année 93, l'Abkhazie est ainsi presque totalement « libérée » et la ligne de front fixée aux anciennes frontières de la république soviétique autonome sur la rivière Inguri, à l'exception de la gorge de Kodori encore contrôlée par Tbilissi. La Russie négocie le cessez-le-feu en 1994 fondé sur le statu quo politico-militaire d'octobre 93. Elle obtient sous couvert international l'envoi de « casques bleus », exclusivement russes, qui assurent la sécurité abkhaze.

Cela étant, en janvier 1996, la Russie se joint à la Géorgie pour mettre en place, par une décision de la Communauté des Etats Indépendants (CEI), un blocus économique sur l'Abkhazie. Pendant plusieurs années, le pays « indépendant » survit dans un contexte très difficile, ne pouvant compter pratiquement que sur sa production intérieure et l'aide humanitaire collectée et envoyée illégalement par sa diaspora en Turquie. A l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, la Russie assouplit sa position[iv].

C'est à cette même période, au début des années 2000, que les Abkhazes manifestent, de façon symbolique forte, leur volonté d'indépendance. Au second semestre 2004 s'engage la campagne présidentielle pour succéder au héros de la première guerre Vladislav Ardzinba. Mais c'est un outsider, Sergueï Bagapsh[v] candidat de l'opposition, au sens où il n'est pas soutenu par la Russie, qui obtient 50,8% des voix au scrutin d'octobre. Son principal rival, Raul Khadjimba qui a aussi les faveurs du président sortant, conteste les résultats. Des émissaires russes intercèdent et en janvier 2005, une nouvelle élection est organisée, Raul Kadjimba ayant rejoint à cette occasion le camp de Bagapsh. Le tandem l'emporte sans surprise : Bagapsh devient président et Khadjimba vice-Président. Pour la première fois, les Abkhazes paraissent avoir décidé, seuls, selon leurs propres intérêts, lesquels, en l'occurrence, ne correspondaient pas aux vœux russes. Pour autant, ils ne sont pas en mesure de concrétiser cette avancée institutionnelle : le cadre étatique reste instable et leur existence « officieuse », aux yeux de tous.

Il faut attendre août 2008, comme chacun sait, et l'erreur géorgienne en Ossétie du Sud pour enfin se voir accorder un droit de cité dans l'arène internationale. Dans la nuit du 7 au 8 août, le président Mikhaïl Saakashvili n'ordonne pas l'attaque de l'Abkhazie en tant que telle, mais celle-ci profite de la débâcle de l'armée géorgienne dans l'enclave ossète pour reprendre la gorge de Kodori. Le 12 août, la France au nom de l'Union européenne négocie le plan de paix en 6 points, puis le cessez-le-feu du 16 fige les positions de part et d'autre, y compris dans la gorge de Kodori, que les troupes russes et les milices supplétives abkhazes contrôlent toujours aujourd'hui. Enfin vient la reconnaissance par la Russie. Les deux « nouveaux » pays n'entendent pas en profiter de la même manière. L'Ossétie du Sud n'envisage la décision russe que comme la marque, sanctionnant officiellement son retrait de Géorgie, mais cette indépendance ne saurait être que temporaire, le temps d'organiser son rattachement à la république fédérée d'Ossétie du Nord et par là à la Russie. L'Abkhazie, à l'inverse, opte pour une voie nationale de construction de l'indépendance, avec la Russie bien sûr - quelle autre solution existe dans l'immédiat ? - mais pas uniquement. Cette reconnaissance, à la fois, récompense la mobilisation permanente de la société abkhaze au service de ses idéaux et fonde pour la première fois les bases d'une réalité politique légitime.

L'élection présidentielle de décembre 2009 entérine et confirme ce mouvement. C'est la consécration de la liberté abkhaze. La victoire du président sortant Sergueï Bagapsh, au premier tour avec 61% des voix, marque la continuité. Il se voit gratifié des indéniables succès de son mandat passé : d'abord, une gestion dynamique de l'économie qui croît malgré le blocus, ensuite et surtout les excellentes manœuvres diplomatico-politiques au moment de la crise d'août 2008, enfin une certaine prudence dans ses relations avec la Russie. Ses principaux concurrents en l'état actuel des forces manquent de crédibilité. Raul Khajimba, qui démissionne de son poste de vice-Président en mai 2009, ne peut pas, après quatre ans passés au pouvoir, décemment et fermement critiquer les actions du gouvernement et espérer convaincre de sa probité et de ses compétences. Il termine second de l'élection à un peu plus de 15%. Les autres candidats, peu connus du public en dehors de la capitale Soukhoum, ne dépassent pas les 10%. Beslan Boutba, homme d'affaire, fondateur et président du parti « Pour le Développement économique de l'Abkhazie », qui incarne une nouvelle génération de leaders plus modernes, moins soviétiques, a déçu, n'arrivant que 4ème à 8%. Du président élu, entré en fonctions le 12 février 2010, et de son équipe, dépend donc ainsi aujourd'hui l'accomplissement politique de la chance juridique offerte par la Russie[vi].

 

Laurent Vinatier. Vous venez d'être nommé Premier Ministre de la République d'Abkhazie. C'est une promotion. Comment voyez-vous vos nouvelles responsabilités ?

Sergueï Shamba. Mes fonctions désormais ne se limitent plus en effet aux affaires étrangères. Mais vous savez, je suis engagé depuis longtemps dans la vie politique abkhaze dans son ensemble. La politique extérieure est certes un élément fondamental, notamment de l'indépendance, mais j'ai bien conscience des besoins quotidiens de mes concitoyens, sociaux et économiques. Je vous rappelle que j'ai été candidat à la présidence en 2004. Cette fois-ci, j'ai considéré que Sergueï Bagapsh incarnait le mieux la construction de notre république; je l'ai rejoint et me réjouis de pouvoir me consacrer au développement complet de l'Etat. Donc, oui, je perçois cette nommination comme une promotion, au sens où, élargissant mon spectre d'action, je me trouve face à de nouvelles responsabilités et à de nouveaux défis. Je serai ainsi jugé non plus seulement sur mes réalisations en matière de politique étrangère mais aussi maintenant sur les solutions intérieures que j'apporte. 

L.Vinatier. Pour beaucoup en Europe, vous savez, l'une des seules questions qui importe est la suivante : l'Abkhazie existe-t-elle vraiment ? N'êtes-vous pas un nouveau sujet de la grande fédération du Nord ? Vous devez tout à Moscou.

S.Shamba. L'Abkhazie n'entend nullement ne rester orientée que vers la Russie. Nous voulons construire une politique étrangère multidirectionnelle. C'est une priorité stratégique que nous envisageons en trois temps, à court, moyen et long terme. A court terme, il s'agit essentiellement de se rapprocher de la Biélorussie. A moyen terme,  il faudra construire un partenariat privilégié avec la Turquie, certains Etats du Moyen-orient et d'Amérique latine, c'est-à-dire, à l'exception du voisin turc, la plupart des pays indépendants de l'OTAN. Enfin, à long terme, évidemment, c'est vers l'Union européenne qu'il sera nécessaire de se tourner.

L.Vinatier. Il nous semble, vu d'Europe, que vous avez quitté un joug pour un autre, la Géorgie pour la Russie. En matière de politique étrangère par exemple, élément régalien significatif de la souveraineté et votre spécialité, vous n'avez pas d'autre choix que de passer par la Russie.

S.Shamba. A l'heure actuelle, les relations entre l'Abkhazie et les pays européens, sont très difficiles. Ceux-là ne veulent pas reconnaître la réalité ; ils ne portent pas un regard objectif sur la situation dans le Caucase et sur l'Abkhazie en particulier. Ils pratiquent une politique à double standard, en maintenant des positions fermes et absurdes telles que l'affirmation de « ne jamais reconnaître l'indépendance de l'Abkhazie ». Pourtant pour le Kosovo, cela n'a pas posé de problème ! L'intégrité territoriale de la Serbie n'a pas été un obstacle. Pourquoi ce principe devrait-il primer pour la Géorgie, à notre désavantage ?

L.Vinatier. Malheureusement cet argument du précédent kosovar est rejeté par la plupart des Etats européens. Les situations, disent-ils, sont très différentes.

S.Shamba. Il faut que les Européens comprennent que l'intégrité territoriale de la Géorgie est une illusion depuis 15 ans maintenant. En fait ils défendent une conception très arrièrée de la Géorgie, la conception stalinienne, qui a pris forme en 1931, lorsque le maître de l'Union Soviétique a décidé de faire de la Géorgie, ce qu'Andreï Sakharov a appelé un « petit empire », façonné sur le modèle de l'URSS. Les Abkhazes à cette époque avaient déjà violemment réagi avant d'être écrasés. L'Europe au fond veut et promeut la Géorgie de Staline. Ils ne nous comprennent pas ! C'est une erreur historique. Il est erroné de croire que l'Abkhazie n'a pas ses propres intérêts et qu'elle est de toute façon manipulée par la Russie.

L.Vinatier. Justement au regard de l'Histoire, comment situer l'Abkhazie ? Symboliquement, si l'on doit remonter au IXème siècle, l'Abkhazie fait déjà partie du premier royaume géorgien. Cela dit, plus près de nous, au 19ème siècle, vous résistez au Tsar à l'inverse des Géorgiens.

S.Shamba. L'Abkhazie, depuis toujours, défend son autonomie et sa spécificité contre les multiples tentatives, essentiellement géorgiennes c'est vrai, de domination et d'assimilation. Elle entre en résistance dès 1864 lorsque les Abkhazes perdent leur souveraineté et sont intégrés, par la force, à l'empire tsariste. Au début du 20ème siècle, les Communistes prennent le relais en Géorgie. Aux Mencheviks succèdent les Bolcheviks géorgiens qui mettent en place une véritable politique d'assimilation. Ils interdisent les enseignements en abkhaze, ils organisent des déplacements de population géorgienne en Abkhazie, ils réécrivent l'histoire et ferment les centres culturels.

L. Vinatier. Au 20ème siècle en effet, Staline un Géorgien, impose l'uniformisation soviétique et vous intègre en 1931, en tant que république autonome, à la République socialiste soviétique de Géorgie. Puis c'est la fin de l'Union soviétique : la guerre éclate...

S.Shamba. Les choix politiques des présidents géorgiens successifs, Zviad Gamsakhourdia, Edouard Chevardnadze et Mikhaïl Saakachvili, ont largement contribué à détériorer nos relations et contribué à la séparation définitive. Dans tous les cas, c'est très simple : il y a intervention militaire ou tentative d'attaques armées. Jamais les Géorgiens n'acceptent nos propositions pour régler pacifiquement le conflit. En 1992 d'abord, nous sommes prêts à participer à une fédération géorgienne, mais la Géorgie qui a récupéré beaucoup d'armes après l'effondrement soviétique, décide d'utiliser la force. En 1997, nous émettons l'idée d'une confédération. La proposition est discutée à Moscou, soutenue par le Premier ministre Primakov, mais une nouvelle fois les Géorgiens refusent. En mai 2008, à l'initiative du nouveau président russe, Dmitri Medvedev, un accord engageant les parties à ne pas reprendre les hostilités est sur le point d'être signé à Moscou mais le président Saakashvili au dernier moment annule. A cela s'ajoutent les multiples déclarations bellicistes, tout au long des années 2000 qu'illustre bien cette formule de Mikhaïl Saakachvili en 2004 : « nous allons faire de la gorge de Kodori une place d'armes ».

L. Vinatier. Finalement, tout se joue au 20ème siècle.

S. Shamba. En quelque sorte oui. La Géorgie a constamment refusé les compromis. La seule option qu'elle a considérée est celle de la force. A ce titre, il est désormais impossible pour les Géorgiens et les Abkhazes de vivre ensemble. Historiquement, la Géorgie n'a pas le droit de prétendre à l'Abkhazie. Par ses actions et politiques au 20ème siècle, elle a également perdu toute légitimité à garder en son sein le territoire abkhaze. C'est pourquoi en août 2008, la Russie n'a eu d'autres choix que de garantir la sécurité de l'Abkhazie et de reconnaître son indépendance.

L.Vinatier. Soit. Votre pays est indépendant et après ? Encore faut-il le rendre viable. Quels sont vos projets à court terme ?

S.Shamba. La reconnaissance de l'indépendance n'est pas notre unique objectif. Cela ne serait que l'ultime consécration au terme d'un long processus de rapprochement avec nos quelques partenaires principaux (Russie exceptée naturellement). Les priorités aujourd'hui se déclinent en 2 mouvements : d'une part assurer la sécurité de la population, d'autre part permettre le développement économique du pays. Bien sûr, cela passe d'abord par un partenariat solide avec la Russie. Sur le plan sécuritaire, les accords sont déjà signés. Sur les plans économique et social, de même, les investissements en provenance de Russie augmentent rapidement. Parmi eux, certaines personnalités influentes de Moscou, à l'instant d'Iouri Loujkov, le maire de la ville ou Konstantin Zatouline, qui depuis les années 90 s'occupent des relations avec les anciens satellites soviétiques, n'hésitent pas à mobiliser des sommes importantes.

L.Vinatier. Mais enfin vous vous rendez prisonniers des ressources russes. Le dernier accord signé à Moscou en février, établissant une base militaire unifiée était-il vraiment bien nécessaire ?

S.Shamba. Vous n'avez pas connu de guerre et la menace à tout moment d'une reprise des hostilités. Il est essentiel pour notre population d'assurer une sécurité sur le plus long terme possible. Alors oui, l'accord signé avec la Russie est nécessaire et bon. L'établissement d'une base militaire ne signifie nullement l'occupation du pays. Combien de bases les Américains ont-ils dans le monde ? Ces pays sont-ils considérés comme des pays occupés ? La Corée du Sud ? L'Allemagne jusqu'en 2005 ? le Qatar ? Tous ces Etats sont encore en mesure d'exercer leur souveraineté. Il ne faut rien exagérer sur les conséquences d'une base militaire. Pour nous, c'est une garantie de sécurité, qui nous permet de donner la priorité au développement économique de la république.

L.Vinatier. Dans la perspective justement des jeux olympiques de Sotchi. Où en sont les négociations avec la Russie concernant votre participation aux grands travaux de construction ?

S.Shamba. Sur ce dossier, rien n'est encore définitif. Nous poursuivons les négociations avec les Russes sur notre contribution. Pour le moment, la Russie paraît disposée à nous accorder un crédit de 2 milliards de dollars pour la réhabilitation des voies de communications, routes et chemins de fer. De plus, il est fort probable que l'aéroport de Soukhoumi soit rénové et modernisé de manière à renforcer le potentiel aérien de Sotchi. Mais encore une fois, l'Abkhazie ne souhaite pas s'en remettre exclusivement à la Russie. Il nous faut atteindre un certain état d'équilibre, politique et économique. C'est précisément ce que nous nous employons actuellement à construire. Nous devons pouvoir choisir librement nos partenaires commerciaux.

L.Vinatier. Vous avez donc des objectifs à court terme.

S.Shamba. L'un de nos objectifs stratégiques à court terme est d'ouvrir des voies de communication directe par la mer et par les airs avec la Turquie. Actuellement, 60% de nos échanges se font avec la Russie, 30% avec la Turquie et 10% avec la Roumanie et la Bulgarie. Pour le moment, ce commerce passe par la Russie et par Sochi en particulier. Une partie seulement, tout à fait illégalement (au regard de l'embargo décrété par la Communauté des Etats indépendants en 1996[vii]), est établi directement par la mer. Les bateaux turcs au départ de Trabzon continuent d'arriver en Abkhazie, lorsqu'ils ne sont pas stoppés par les Géorgiens, que les équipages ne sont pas emprisonnés et soumis à de fortes amendes. La Russie n'est pas contre la diversification de nos partenaires commerciaux, mais ceux-ci ne sont pas toujours libres de leurs choix. La Turquie par exemple doit tenir compte de la politique américaine dans le Caucase et de la Géorgie à sa frontière. C'est pourquoi pour l'instant, à l'exception des parcours illégaux, ou officieux en réalité, la Turquie se montre encore réticente à ouvrir des lignes directes par mer et par air vers l'Abkhazie.

L.Vinatier. Il est clair que vous avez besoin de la Turquie. Mais quels seraient les avantages pour elle d'ouvrir une ligne directe aérienne et maritime avec l'Abkhazie ? Quel sont vos arguments de vente ?

S.Shamba. J'ai précisément discuté de ce point avec Nurdan Bayraktar Golder du ministère des Affaires étrangères turques, en avril dernier. Il semble que la Turquie souhaite nous rapprocher de la Géorgie. Elle a en tête, je crois, un rôle de médiateur entre Tbilissi et nous. Si cela doit nous éloigner de la Russie, ce n'est pas un bon calcul. La Russie est évidemment notre partenaire privilégié mais nous souhaitons comme je l'ai dit, développer d'autres partenariats privilégiés en toute souveraineté. Donc, la Turquie a tout intérêt à soutenir notre indépendance, ni Géorgie, ni Russie, mais l'Abkhazie indépendante. Ainsi elle remplirait ses objectifs dans le Caucase Sud. Nous ne demandons même pas dans l'immédiat de reconnaissance officiellement mais un engagement concret avec nous. Cela renforcerait clairement le rôle et l'influence de la Turquie dans la région.

L.Vinatier. Mais à part la Turquie, qui est votre unique autre porte de sortie, vous n'essayez pas de voir plus un peu plus loin ?

S.Shamba. Nous regardons aussi du côté iranien, complètement indépendant en l'occurrence des Américains. L'Iran est un acteur important dans le Caucase. Après le Moyen-Orient, c'est l'espace stratégique qu'il entend investir. Au début de 2009 ainsi une délégation iranienne a été accueillie à Soukhoum.

L.Vinatier. Vous avez définitivement perdu tout espoir à l'Ouest...

S.Shamba. Mais c'est l'Europe qui ne répond pas à nos appels. Les Européens refusent des visas aux Abkhazes, contre toute logique et au détriment de notre jeunesse qui souhaite recevoir une éducation internationale. Concernant les Etats-Unis, jusqu'à l'année dernière, il n'était même pas envisageable de même penser à une quelconque action. Nous plaçons certains espoirs en Obama, qui semble vouloir changer d'optique sur la Géorgie, mais cela ne signifie nullement qu'il s'intéresse davantage à nous. Dans l'immédiat, l'Abkhazie a besoin de construire des relations pragmatiques avec certains Etats de bonne volonté ; ensuite seulement vient la question de la reconnaissance.

L.Vinatier. A priori, il semble que vous ayez un atout : votre diaspora, nombreuse en Turquie et en Jordanie et généralement bien intégrée dans les pays d'accueil. Elle est ancienne en Turquie et au Proche Orient et organisée.

S.Shamba. Nous avons confiance dans le dynamisme de notre diaspora en Turquie et en Jordanie, mais aussi aux Etats-Unis et bien sûr en Europe. Ces Abkhazes de l'étranger soutiennent vivement l'indépendance. En Turquie par exemple, la diaspora a accueilli la reconnaissance par de nombreuses et chaleureuses manifestations. Le comité de solidarité, créé au moment de la 1ère guerre en 1993 et basé à Istanbul, continue de fonctionner et demeure le relais principal des intérêts abkhazes en Turquie, notre seul partenaire.

L.Vinatier. Mais aujourd'hui alors que la question abkhaze peut devenir stratégique entre la Turquie et la Russie, cette diaspora peut-elle véritablement jouer ce rôle de relais de vos intérêts ?

S..Shamba. Certainement. Par son intermédiaire nous rencontrons des représentants des gouvernements turc et même russes. Par exemple, il a été possible pour nos représentants en mission à l'étranger de rencontrer au début 2009 à Istanbul Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de Russie. La diaspora abkhaze en particulier, parmi les autres diasporas caucasiennes de Turquie, exerce une influence non négligeable. De même en Jordanie, les représentants adyghés de la diaspora caucasienne occupent des positions d'influence. Ainsi peu après une visite en Abkhazie, le leader de la diaspora caucasienne en Jordanie a entrepris la création à Amman d'un fonds économique et culturel de coopération avec l'Abkhazie.

L.Vinatier. Au fonds, la diaspora fait partie intégrante de votre entreprise de state-building...

S.Shamba. Oui. Nous avons besoin plus que jamais de nos diasporas. Pendant les moments difficiles, lorsque le blocus économique faisait sentir ses effets les plus durs, les diasporas ont toujours été présentes et attentives au sort de la population ici. Nous tentons aujourd'hui de formaliser davantage nos relations avec la diaspora. Plusieurs structures parlementaire et gouvernementale, au niveau du ministère des Affaires étrangères notamment, organisent ainsi en Abkhazie des visites des représentants de nos diasporas. Nous élaborons aussi une meilleure stratégie de communication et d'information (conférences de presse, publicité, événements culturels et scientifiques) en nous appuyant sur les relais diasporiques. A Moscou, ces relais sont déjà très efficaces ; l'Europe en revanche demeure encore peu intéressée. C'est l'une de nos cibles principales.

L.Vinatier. Et le retour de cette diaspora ? Est-ce une éventualité que vous envisagez et souhaitez ?

S.Shamba. Aujourd'hui, il ne serait pas inconcevable qu'une partie de cette diaspora revienne. C'est à cette fin qu'a été créé le comité pour la rapatriation de la diaspora. Il est financé par un prélèvement de 3% sur les impôts généraux et doit permettre d'organiser le retour des membres de la diaspora en les aidant à trouver un logement, un travail et à assurer pour eux ou pour leurs enfants un niveau d'éducation convenable. C'est Anzor Mukba qui le dirige.

L.Vinatier. A ma connaissance, il semble que toute la classe politique abkhaze ne soutienne pas cette ouverture vers l'extérieur. C'est difficilement compréhensible. Existe-t-il une opposition en Abkhazie ?

S.Shamba. L'Abkhazie est sans doute l'un des Etats les plus démocratiques du Caucase. La presse est libre ; les partis sont indépendants. L'élection présidentielle en 2004 en a donné un exemple significatif. Celle de décembre 2009 n'a pas dérogé à la règle.

La société abkhaze est très politisée. Il est vrai qu'il existe en son sein une tendance assez nationaliste, qui craint qu'en ouvrant trop le pays, y compris aux Russes, les Abkhazes perdent leur identité. Compte tenu des menaces récurrentes d'assimilation et du problème démographique actuel, cette posture gagne en popularité.

L.Vinatier. Aujourd'hui, plus rien ne vous relie vraiment à vos compagnons d'infortune non reconnus, au Haut-Karabagh et en Ossétie du Sud. Quelles sont vos relations à présent ?

S.Shamba. L'Abkhazie a conclu un accord d'amitié avec l'Ossétie du Sud et le Haut-Karabagh. Aujourd'hui, nos objectifs divergent. Le Haut-Karabagh s'est désolidarisé depuis quelques temps de cette entente, espérant faire fructifier certaines avancées dans le cadre du groupe de Minsk. L'Ossétie du Sud souhaite l'intégration au sein de la Fédération de Russie. Quant à nous, il est clair, je crois, que nous voulons avant tout construire notre indépendance.

L.Vinatier. Enfin dernière question sur votre avenir. Le poste de Premier ministre peut être un tremplin pour aller plus haut, d'autant que Sergueï Bagapsh ne peut pas se représenter. Y pensez-vous ?

S.Shamba. Non, absolument pas. Il est bien trop tôt pour y penser. Comme je l'ai dit, que je sois d'abord jugé sur mes résultats ! Après on verra.



[i] Selon le recensement non reconnu de 2003, il y aurait 94000 Abkhazes (45%), 46000 Géorgiens (21%), 45000 Arméniens (20%), 23000 Russes (11%), 1500 Grecs (1%). http://www.ethno-kavkaz.narod.ru/rnabkhazia.html

[ii] Alliance conclue entre les deux principaux rivaux des élections de 2004 pour mettre fin à l'impasse politique provoquée par la défaite non prévue de Khadjimba, soutenu par le Kremlin.

[iii] Il est remplacé à son poste par Maxim Gvinjia, ancien vice-Ministre des Affaires étrangères, parfaitement anglophone et très à l'aise dans les rencontres internationales.

[iv] En mars 2008, elle finit par lever le blocus qui dans les faits n'était plus actif.

[v] Homme d'affaires, représentant de l'Abkhazie à Moscou au début des années 90, Premier ministre d'Abkhazie en 1997 et directeur exécutif de la compagnie énergétique nationale entre 2000 et 2004.

[vi] Outre la Russie, l'indépendance de l'Abkhazie a également été reconnue par le Nicaragua en septembre 2008, le Venezuela en septembre 2009 et les îles Nauru en décembre 2009, mais ces reconnaissances ultérieures ont peu d'importance stratégique.

[vii] Il est largement assoupli par la Russie, à l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000. Il est officiellement levé le 6 mars 2008. Le Kremlin depuis longtemps avait préparé le décret. Dans les faits, les échanges avaient repris sans entraves significatives depuis plusieurs années.
 
 

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